Info intéressante sur la physiologie des muscles oculomoteurs

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Physiopathologie clinique cycloverticale
« Le diagnostic et le traitement des déviations cycloverticales représentent un défi essentiel pour l’ophtalmologiste. » Gunter von Noorden
Physiopathologie clinique cycloverticale
Maurice-Alain Quéré
Introduction
Le rappel d’un certain nombre de notions fondamentales est indispensable afin de comprendre la séméiologie des dérèglements verticaux et de poser des indications chirurgicales correctes.
Nous verrons successivement :

• La physiologie des muscles oculomoteurs ;
• Le contrôle oculogyre de la cycloverticalité ;
• Les problèmes particuliers de la physiopathologie de la torsion.
Physiologie des muscles oculomoteurs
Nous serons bref car ces notions sont largement détaillées dans tous les manuels de physiologie et d’oculo-motricité. Nous nous contenterons de revenir sur certains points afin de montrer que les choses sont loin d’être aussi simples qu’on pourrait le croire.
Les muscles droits verticaux et obliques ont une triple action : verticale, torsive et horizontale. Ces actions dites primaires résultent de la disposition anatomique de chaque muscle : l’insertion orbitaire et l’insertion bulbaire en déterminent la direction. Le grand oblique en dépit de la dualité de sa configuration anatomique, portion musculaire et tendon réfléchi sur la poulie, n’échappe pas à cette loi des leviers.
Les actions primaires
Les actions verticales
Elles sont évidentes :

• Le droit supérieur et le petit oblique sont élévateurs ;
• Le droit inférieur et le grand oblique sont abaisseurs.
Les actions torsives
Elles semblent également sans ambiguïté :

• Les muscles supérieurs : droit supérieur et oblique supérieur (grand oblique) sont intorseurs ;
• Les muscles inférieurs : droit inférieur et oblique inférieur (petit oblique) sont extorseurs.
Les actions horizontales
D’après la disposition anatomique des muscles verticaux, leurs potentialités d’abduction et d’adduction, bien que beaucoup moins puissantes que les deux précédentes, semblent indiscutables : les obliques sont des abducteurs, les droits verticaux des adducteurs.

Les champs d’action
Si l’on considère chaque muscle isolément, tout est simple. En revanche les choses deviennent beaucoup plus complexes quand on envisage la mécanique oculomotrice dans son ensemble.
En fonction de l’orientation du globe déterminée par les muscles horizontaux, on peut faire un certain nombre de constatations fort logiques.

• Dans l’abduction, les droits verticaux assurent l’élévation-abaissement, les obliques l’intorsion-extorsion. C’est exactement l’inverse quand l’œil est en position d’adduction.
• Toujours en se référant à la loi des leviers, on a pu pousser les choses un peu plus loin. Par exemple, pour les obliques tout semble prouver que les faisceaux antérieurs ont essentiellement des effets de torsion, tandis que les faisceaux postérieurs ont des effets verticaux. Les actions chirurgicales sélectives semblent corroborer ce point de vue. En revanche, une telle dualité fasciculaire en ce qui concerne les droits verticaux, même si elle a été affirmée par certains, semble plus discutable, en tout cas elle reste à démontrer.
Cette mécanique oculomotrice verticale élémentaire est essentielle à connaître, puisque, quand elle est perturbée, nous devons effectuer nos actions chirurgicales selon ce schéma.
Cette simplicité de la répartition des tâches entre les divers muscles verticaux n’est qu’une apparence, en réalité les choses sont infiniment plus complexes.
Les travaux de Krewson (1 950), puis de Boeder (1 961) et de Jampel (1 966, 1 975) ont apporté un certain nombre de précisions, mais également soulevé bien des interrogations.

• Les droits verticaux ont une action verticale beaucoup plus puissante que celle des obliques.
• Au contraire les obliques ont un pouvoir de torsion beaucoup plus puissant que les droits verticaux.
Jampel a même émis l’hypothèse que, dans l’axe horizontal, la majorité de la torsion est assurée par les obliques. On voit immédiatement le corollaire chirurgical qui peut en résulter : chaque fois qu’il y a un important trouble torsionnel il faudrait en principe impérativement agir sur un muscle oblique. Ce point de vue semble confirmé par les travaux de Desplat-Stecken (1 980) qui, dans les paralysies acquises du IV, n’a pas constaté sur le plan horizontal de différence significative du degré de torsion anormale entre l’adduction et l’abduction.
Les observations récentes de Rüssmann (colloque de Zermatt 1 990) semblent montrer que cette opinion est excessive. Dans le but de compenser des paralysies du regard vers le bas, il a pratiqué un recul des droits supérieurs et un renforcement des droits inférieurs. En postopératoire il a constaté une excyclotropie de plus de 20 degrés, dont la neutralisation a nécessité dans un deuxième temps une ténotomie antérieure des deux petits obliques.
Les travaux de Boeder (1 961), de Haase et Kusel (1 978) ont prouvé que cette mécanique des champs d’action est beaucoup plus complexe qu’on pouvait le penser. Il faut souligner que ce sont des études de géométrie théorique ; elles ne reposent sur aucune preuve électromyographique de la contraction musculaire et ne tiennent pas compte de la probable interférence des facteurs viscoélastiques musculaires et aponévrotiques.

• Tout d’abord, les muscles horizontaux semblent avoir des potentialités verticales passablement importantes quand le globe est en élévation ou en abaissement marqué. De la même façon, ils peuvent exercer une action contre-rotatoire, mais celle-ci semble minime.
• L’action horizontale des droits verticaux et des obliques se révèle très modérée, surtout comparée à la puissance des droits horizontaux.
Quand on sort du champ de fréquentation habituelle du regard (c’est ce qui se produit en cas de déviation majeure) les actions respectives des muscles seraient profondément modifiées :

• Les droits verticaux réputés adducteurs deviendraient abducteurs quand l’abduction du globe dépasse 25° ;
• Les obliques réputés abducteurs deviendraient adducteurs quand l’ad-duction du globe dépasse 30 ° ;
• La modification radicale des effets de torsion de ces muscles en fonction de l’orientation du regard est encore plus troublante ; si l’intorsion du grand oblique et l’extorsion du petit oblique reste effective dans l’ensemble du champ du regard, cependant à partir de 25 ° d’abduction leurs effets de torsion seraient inversés ;
• Enfin les travaux de Boeder, étudiant la participation des différents muscles dans les positions cardinales du regard, ont montré que l’action verticale du droit interne serait décisive pour l’élévation en haut et en dehors ; celle du droit externe serait encore plus importante pour l’éléva-tion en haut et en dedans.
Système oculogyre et cycloverticalité
Le système oculogyre à la charge du « regarder » moteur. Il assure la parfaite synergie des globes quelles que soient l’orientation du regard et la distance de fixation ; c’est ce que Hering a exprimé dans sa loi de correspondance motrice. Ce système qui reçoit les afférences sensorielles, vestibulaires et proprioceptives commande et contrôle les décharges efférentes vers les noyaux oculomoteurs.
Pendant longtemps on a confiné le contrôle oculogyre à l’étage mésencéphalique, si bien que pendant 100 ans on a fait une oculo-motricité de décérébration. On sait maintenant que le système oculogyre est constitué par de multiples structures interconnectées s’étageant des aires corticales jusqu’au tronc cérébral.
La « centrale oculogyre » est un système computérisé qui comporte deux programmes très différents mais en activation simultanée permanente : celui de l’équilibre conjugué et des mouvements de version ; celui de l’équilibre réciproque et des mouvements de vergence.
On pourra trouver l’analyse détaillée de toutes ces notions dans le fascicule de notre colloque 1 989 consacré aux « mouvements oculaires en pratique courante ».
Équilibre stato-cinétique conjugué cyclovertical
Il existe un extraordinaire silence sur le contrôle des mouvements verticaux et obliques. Dans les traités de physiologie on admet implicitement que les versions verticales et les torsions sont régies par les mêmes lois que les versions horizontales, mais on constate que la quasi-totalité des études de neurophysiologie expérimentale, tant pour la saccade, la poursuite que pour NOC, ont été effectuées uniquement sur l’axe horizontal.
En ce qui concerne la torsion, le rôle des otolithes, du système vestibulaire central et du cervelet est clairement établi.
Pour la verticalité la moisson est particulièrement maigre.

• Au niveau cortical, Wagman et Bender (1 958) ont été les premiers à montrer que la faradisation du cortex occipital donne un mouvement controlatéral oblique, dirigé soit vers le haut, soit vers le bas suivant le point excité, mais que pour obtenir un mouvement vertical pur il faut stimuler simultanément les deux cortex.
• On n’a pas retrouvé au niveau de la capsule interne de faisceaux individualisés pour le regard vertical ; par contre une expérimentation considérable et concluante a prouvé le rôle important du colliculus supérieur dans la verticalité. En somme pour la verticalité tout semble commencer au mésencéphale.
La clinique nous apprend que la verticalité est profondément altérée par les lésions pédonculaires hautes au voisinage de la commissure blanche postérieure, c’est le syndrome de Parinaud. Il semble d’ailleurs qu’il y ait à ce niveau des voies individualisées pour le regard vers le haut et vers le bas.
Deux syndromes neurologiques très rares ont depuis toujours beaucoup intéressé les spécialistes de l’oculo-motricité à cause de leur parenté troublante avec certains dérèglements verticaux que l’on voit en pratique journalière.

• Le syndrome d’Hertwig-Magendie (1 883), appelé en anglais « skew deviation », qui se manifeste par une divergence verticale dissociée ; il est observé dans les lésions étendues du cervelet et du tronc cérébral.
• Le nystagmus à bascule ou nystagmus see-saw selon la terminologie de Maddox (1 916) ; il est caractérisé par une alternance d’abaissement-extorsion sur un œil et d’élévation-intorsion sur l’autre ; dans la majorité des cas, il est en rapport avec une volumineuse tumeur de la région opto-chiasmatique.
Bielschowsky est le premier à avoir signalé que dans certains strabismes il y a un dérèglement du contrôle oculogyre vertical. C’est en effet en 1930 qu’il a décrit la séméiologie de la divergence verticale dissociée et montré sa nature obligatoirement supranucléaire. À partir de 1965 les travaux de Cüppers ont prouvé l’importance et l’incidence élevée de ces dérèglements oculogyres qui sont depuis qualifiés d’innervationnels.
Équilibre stato-cinétique cyclovertical des vergences
Nos connaissances à ce propos sont encore plus incertaines et la lecture des 726 pages du livre de Schor et Ciuffreda (1 983) consacré aux seuls mouvements de vergence nous laisse à cet égard sur notre faim.
On sait que le rôle du système de vergence est de verrouiller l’équilibre des globes de manière à maintenir leur équilibre stato-cinétique harmonieux et de permettre au système conjugué de s’adapter à toutes les distances de fixation. Il est évident que ses effets s’exercent aussi bien dans l’horizontalité, la verticalité que la torsion.
C’est également un fait journellement constaté que l’amplitude des vergences verticale et torsionnelle est infiniment plus réduite que celle de la vergence horizontale. Néanmoins on est étonné par l’extrême disparité des chiffres indiqués par les divers auteurs.
Cependant certains dérèglements verticaux prouvent que le pouvoir de compensation vertico-rotatoire peut être considérable. Ainsi dans certaines paralysies congénitales du grand oblique il peut atteindre 15 à 20 dioptries en verticalité. Il en va de même dans les formes majeures de DVD, mais l’abaissement du globe à la levée de l’occlusion monolatérale est d’une tout autre nature ; il n’est pas dû à une compensation fusionnelle, mais à un rééquilibrage optotonique ; il traduit une incontestable perversion du contrôle des vergences.
Si à bien des égards l’équilibre tonique des vergences est encore mystérieux, que dire de la cinétique des vergences qui pendant longtemps est restée très mal connue.
Les travaux de l’École de Nantes ont prouvé que le programme des vergences est totalement différent du programme des versions. On sait que la saccade, la poursuite et le NOC sont de véritables entités cinétiques ; au contraire, un mouvement de refixation en profondeur est composite : il résulte de l’articu-lation syncinétique d’une cascade de réflexes lents et rapides, monoculaires consensuels et binoculaires.
Cette syncinésie réflexe concerne la vergence horizontale ; cependant un mouvement naturel de convergence symétrique de 5 m à 30 cm comporte, outre une adduction de 5° à 6° de chaque œil, un abaissement de 15 à 20°. C’est pourquoi on a pu parler d’une convergence oblique. Avec la technique d’enregistrement EOG, il était impossible d’étudier valablement la composante verticale à cause de la transmission irrégulière des potentiels vers le pourtour orbitaire.

La photo-oculographie n’a pas cet inconvénient ; elle nous a permis de constater que la composante verticale dans la convergence-divergence de refixation est toujours une pure version de type saccadique. Ce fait essentiel démontre qu’il n’y a de véritable cinétique des vergences que sur l’axe horizontal.
Les phénomènes de compensation constatés dans les dérèglements cycloverticaux correspondraient, non à une cinétique, mais à des alignements toniques imputables à la fusion, aux afférences lumineuses, vestibulaires ou proprioceptives. La lenteur de ces réactions motrices abonde en ce sens.
Au terme de ces deux premières parties on peut déjà arriver à un certain nombre de conclusions importantes.
Conclusions pratiques

• Nul n’est censé ignorer les lois. Il faut parfaitement connaître le schéma classique des actions cycloverticales des muscles droits verticaux et des muscles obliques. Dans les formes simples de dérèglements verticaux, ce schéma garde toute sa validité.
• L’identification correcte des facteurs verticaux peut être difficile s’il y a une forte déviation horizontale associée. De même, il faut se méfier des modifications que l’on peut constater dans les regards extrêmes.
• Bien des recettes chirurgicales reposent sur des interprétations physiopathologiques purement spéculatives de la mécanique oculomotrice ; elles doivent être accueillies avec beaucoup de réserve.
• Le contrôle des mouvements de verticalité et de torsion par le système oculogyre reste encore très mal connu ; néanmoins il est certain que le système vestibulaire et le cervelet ont un rôle essentiel dans la commande de la torsion, le colliculus dans celui de la verticalité.
• Si une véritable cinétique des vergences ne semble s’exercer que sur l’axe horizontal, en revanche la vergence tonique cycloverticale est une certitude.
• Certains syndromes neurologiques systématisés comportent des atteintes supranucléaires électives de la cycloverticalité qui ont une parenté étroite avec les facteurs verticaux observés en pratique strabologique.
Physiopathologie de la torsion
La loi de Donders (1 847) et ses conséquences
Il n’est pas inutile de rappeler cette loi : « pour chaque position de fixation en relation avec la tête, il existe un angle invariable et précis de torsion dont la valeur est indépendante de la manière par laquelle la ligne de fixation est arrivée à cette position ».
Le corollaire immédiat et évident de cette loi est d’affirmer qu’il y a une corrélation parfaite entre verticalité et torsion, tant du point de vue physiologique que dans leurs dérèglements.
Depuis 150 ans une somme considérable de travaux a été consacrée à la torsion. Tous ces problèmes ont été analysés en détail dans l’excellente thèse de Mme Desplat-Stecken(1 980) inspirée par AM Larmande. Sur de nombreux points essentiels les auteurs aboutissent à des conclusions tout à fait contradictoires, et on constate que notre connaissance de la physiopathologie de la torsion est encore rudimentaire.
Ambiguïtés de la physiopathologie torsionnelle
Nous nous limiterons à l’analyse de cinq problèmes qui, nous allons le voir, ont une importance pratique considérable.
1er problème : les méthodes d’examen de la torsion
Même dans les conditions idéales du laboratoire, il n’y a pas de bonne méthode objective, pratique et précise d’examen de la torsion. Il faut donc avoir recours aux méthodes subjectives (post-images, baguette de Maddox, variation de l’axe d’astigmatisme, champ visuel, aile de Maddox, synoptomètre, stéréogrammes etc.).

Chez un même sujet, ces divers tests ne donnent nullement des réponses équivalentes et cette disparité ne manque pas de nous laisser perplexes. Un exemple précis va nous le faire comprendre.
La fiabilité de la baguette de Maddox semble universellement acceptée. En 1985 nous avons voulu l’inclure dans notre méthode multitests standard d’évaluation de la binocularité des orthotropies et des microtropies. Chez 100 sujets normaux, nous avons fait une étude préliminaire comparative entre les réponses obtenues avec 10 tests de vision simultanée et de fusion (Thèse de Cazenave-Haloun 1 987). Alors que les corrélations entre les réponses aux 9 autres tests choisis étaient hautement significatives, en revanche leurs corrélations avec les réponses à la baguette de Maddox étaient uniformément mauvaises. Nous avons donc écarté la baguette de Maddox comme test diagnostique, car en fait on ne sait pas du tout ce que l’on mesure avec elle.
Mais avec l’interprétation des réponses aux tests subjectifs nous ne sommes pas au bout de nos peines. Elles peuvent être considérablement perturbées par deux phénomènes d’une ampleur considérable : la fausse torsion et l’adaptation de la verticale subjective.
2e problème : la fausse torsion dans les mouvements obliques
Elle tient à ce que, dans pratiquement tous les tests, la projection des images rétiniennes se fait sur un plan. Roelofs (1 954) a calculé cette fausse torsion : elle est très importante. Pour l’éliminer, il faut travailler en coupole, et l’on s’aperçoit alors que dans les regards obliques une torsion physiologique n’existe que dans les regards extrêmes, encore est-elle minime.
On remarquera que pour l’examinateur placé face à un patient présentant un strabisme oblique manifeste, la fausse torsion peut introduire déjà une erreur notable d’évaluation des troubles torsionnels.
3e problème : l’adaptation de la verticale subjective
Colenbrander (1 966) a constaté que lors de l’inclinaison de la tête il se produit une contre-rotation des globes de manière à maintenir le méridien vertical de la rétine. Scott (1 979) a prouvé par l’EMG qu’il y avait alors une activité synergique des droits verticaux et des obliques. Colenbrander a mesuré l’amplitude de ce mouvement de contre-rotation : elle serait faible, à peine le dixième de l’inclinaison de la tête.
Mais le fait le plus important est que, quel que soit le degré de cette inclinaison, le sujet garde une notion parfaitement exacte de la verticale subjective par un mécanisme d’adaptation évidemment sensoriel.
Cüppers (1 974), par l’étude corrélative de la projection simultanée d’une post-image et d’une strie de Bagolini sur la croix de Maddox, a prouvé que ce mécanisme sensoriel intervient également quand il y a une cyclodéviation pathologique. Il arrive à la conclusion que cette contre-rotation entraîne une modification manifeste des valeurs spatiales de la rétine.
Cette adaptation rétinienne spatiale concerne également la cyclofusion. On sait que physiologiquement son amplitude est importante quand la taille de l’image projetée est supérieure à 10° ; suivant les individus elle varie entre 6° et 20°. Or après Sachs et Meller (1 904), Cüppers (1 974), Guyton et von Noorden (1 978) ont clairement démontré qu’elle est en grande partie sensorielle ; c’est pourquoi chez des sujets adaptés à leur cyclodéviation, après la correction chirurgicale de celle-ci, on constate une cyclodéviation subjective dans la direction opposée à la cyclodéviation antérieure, mais ce phénomène est transitoire ; il disparaît le plus souvent en quelques jours.
On comprend l’importance capitale de ce phénomène : même dans un dérèglement moteur cyclovertical récent où la CR est normale, le changement de localisation spatiale de la rétine va largement perturber la validité des réponses, et d’une façon très variable suivant les tests utilisés.
4e problème : la corrélation entre troubles verticaux et torsionnels
Quand la CR est normale, avec des tests comme le Lancaster et le synoptomètre, peut-on d’après l’intensité et la morphologie du déséquilibre vertical en déduire l’état de la torsion ?
Certains auteurs franchissent allègrement ce pas ; des « aspects en tourbillon » seraient selon eux des manifestations caractéristiques d’extorsion ou d’intorsion. On a la tentation de faire la même extrapolation quand on voit sur les tracés de vectographie POG certains changements spectaculaires d’axe de déplacement de l’œil non fixateur.
Les paralysies acquises et récentes de l’oblique supérieur sont à l’évidence le meilleur moyen pour étudier cette corrélation, les résultats des travaux à ce sujet sont sans aucune ambiguïté ; pour Sanfilippo (1 973), Hugonnier (1 976), Desplat-Stecken (1 980), il n’existe aucun rapport entre le degré de verticalité et le degré de torsion. L’étude au synoptomètre de 18 cas de paralysies acquises de l’oblique supérieur nous a fait arriver à la même conclusion (Péchereau et Quéré 1 981).
Cüppers (1 976) est formel : pour lui verticalité et torsion sont deux symptômes de la paralysie de l’oblique supérieur qui ne peuvent être mis en relation directe, avant tout parce qu’ils sont fortement influencés par des facteurs secondaires, c’est-à-dire des procédés compensateurs et tout spécialement le phénomène de Bielschowsky et la fusion.
Même en cas de CRN, on voit par conséquent de quelles précautions il faut s’entourer pour évaluer la torsion anormale.
5e problème : CRA et évaluation des cyclodéviations
Quand il y a une neutralisation, une CRA ou même une CRN douteuse, les méthodes subjectives sont sans valeur.
Les travaux d’Helveston et von Noorden dans les syndromes alphabétiques sont à cet égard éloquents (1 970). Avec les verres striés de Bagolini ils ont en effet constaté que, quelle que soit la direction du regard (donc les variations angulaires), on retrouve toujours le même angle d’anomalie. Inutile de dire combien il faut se méfier des soi-disant normalisations binoculaires sectorielles invoquées sur la foi de certains tests.
Il n’en reste pas moins qu’en pratique courante nous sommes confrontés à un grand nombre de torticolis obliques : ils sont les témoins irréfutables de troubles torsionnels de fixation.
Il est certain que dans ces cas la position de la tête, l’examen du FO de l’œil fixateur, la situation de sa tache aveugle sur le champ visuel sont des éléments objectifs et quantifiables.
En revanche, il n’en va pas de même pour les troubles torsionnels qui se manifestent sur l’œil non fixateur. Lors du cover-test alterné on constate souvent par exemple d’indéniables mouvements d’excyclotorsion, mais leur évaluation objective est grossière.
Les troubles de la torsion observés dans les NML et les strabismes congénitaux ont fait l’objet de deux affirmations pour le moins abusives :

• Les torsions pathologiques de fixation sont qualifiées d’anatomiques tandis que celles de l’œil non fixateur sont qualifiées d’innervation-nelles. En réalité, nous n’en savons rien, car aucun argument probant ne permet de dire que les unes ou les autres sont d’origine anatomique périphérique ou d’origine innervationnelle centrale.
• Il est devenu habituel de dire que l’évolution de ces dérèglements oculomoteurs congénitaux, en particulier ceux qui présentent des troubles de la torsion et/ou une DVD, est conditionné par l’obtention d’un lien binoculaire (?), ces possibilités de binocularité permettant de les minimiser ; ou encore que « leur adaptation sensorielle dépend de l’existence ou non d’une possibilité de binocularité ».
Il s’agit en toute certitude d’une affirmation erronée. On sait que les strabismes et les nystagmus congénitaux n’ont pas de vision binoculaire, l’intégration binoculaire corticale est inexistante pour la simple raison qu’elle n’a jamais pu se développer ; tout le monde est unanime pour dire que c’est un des caractères fondamentaux de leur pathologie.
L’étude comparative des variations angulaires les yeux ouverts, en occlusion bilatérale et monolatérale, avec la pénalisation optique, sous écran translucide bilatéral et monolatéral etc., la séméiologie des NML, prouve qu’il s’agit certes d’un problème d’afférences visuelles, mais la binocularité n’est nullement en cause ; tout milite en faveur d’un déséquilibre de la balance entre les incitations optomotrices et optotoniques monoculaires. Le but du traitement est précisément sinon de rétablir, du moins d’améliorer leur « balance » corrélative, et l’expérience prouve qu’on y arrive.
Conclusions pratiques
Ces ambiguïtés physiopathologiques et les multiples objections qu’elles soulèvent quant à l’identification et l’évaluation des troubles de la torsion peuvent sembler très négatives.
Il n’en reste pas moins que les torticolis obliques existent ; ils sont fréquents ; il faut impérativement les neutraliser et surtout ne pas les aggraver par des actions inopportunes.
Même si des phénomènes compensateurs distincts empêchent d’établir une relation claire entre les facteurs verticaux et les troubles torsionnels, la marche à suivre est relativement simple :

• Dans les dérèglements oculomoteurs acquis, en particulier les paralysies du grand oblique, tous les auteurs sont d’accord pour dire que la neutralisation des facteurs verticaux fait disparaître les déséquilibres torsionnels, et qu’un reliquat éventuel est en général facilement compensé par la cyclofusion.
• Dans les dérèglements congénitaux, le problème est nettement plus ardu. Il y a indéniablement un certain pourcentage de cas très complexes et, compte tenu des phénomènes que nous venons d’énumérer, ce n’est pas pour nous étonner.
Mais la très grande majorité des cas sont « classiques » et la conduite à tenir qu’il convient d’adopter est également assez simple. Après identification soigneuse des torticolis de fixation, des facteurs verticaux associés, enfin pour la déviation horizontale de l’angle basique et l’intensité du spasme, un plan chirurgical cohérent est établi de manière à les neutraliser de façon simultanée ou successive. L’expérience prouve qu’on obtient presque toujours un résultat satisfaisant.
RÉFÉRENCES

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